Au delà de la diversité de notre ferme à taille humaine, riche de prés, bois, terres, prairie inondable, bocage, (petite visite en chanson par ici), les pratiques écologiques paysannes que nous mettons en œuvre dans l’entretien d’ensemble de notre jardin contribuent à valoriser un équilibre naturel protégeant nos cultures maraîchères que nous menons de façon EXtensive.
Et dans notre jardin, chaque carré de légume est entouré de bandes fleuries permanentes destinées à attirer et héberger les insectes auxiliaires de nos cultures. La réflexion à ce sujet et leur mise en place ont été une grande aventure débutée dès 2001, et que nous avons racontée et illustrée ici.
Pour la culture elle-même des bandes fleuries,
Plusieurs critères
et objectifs nous guident dans le choix des variétés qui composent le mélange installé pour plusieurs années consécutives sur la planche en bande fleurie. En vrac :
Lieu de tranquilité
Un lieu de «tranquillité» pour les insectes, avec au grand maximum un seul passage de tracteur par an, et chaque fois que possible pas d’intervention du tout avec le tracteur.
Le but pour les insectes ? Peinards…
Floraison échelonnée.
Une floraison échelonnée suffisamment pour attirer les butineurs tout au long de la saison et ainsi faciliter la pollinisation des cultures.
Le but pour les insectes ? À « manger » toute la saison…
Attirer.
- Le but est aussi d’attirer les auxiliaires spécifiques des parasites de nos cultures en installant des plantes à parasite inféodé ( = parasite qui lui est spécifique => il n’y a donc pas de risque qu’il parasite nos cultures). Par exemple le puceron spécifique du bleuet
attire la coccinelle qui, elle, parasite plusieurs pucerons différents.
- On augmente selon le besoin du légume voisin la proportion de plantes identifiées comme particulièrement efficaces pour attirer les prédateurs que nous recherchons.
Éviter les invasions.
- Et nous évitons les plantes repérées comme rapidement dominatrices des autres espèces pour préserver au mieux la biodiversité plusieurs années de suite sur la bande fleurie. Expérience faite, nous en avons éliminé certaines de nos semis…
- On limite au maximum la concurrence pour les légumes des planches permanentes voisines. Certaines espèces particulièrement imposantes, mieux vaut ne les cultiver qu’entre deux carrés en engrais vert… il suffit de le prévoir dans la rotation, à l’exemple du mélilot.
- Nous essayons d’éviter absolument l’installation d’adventices qui graineraient dans les planches de légume et provoqueraient une charge de travail supplémentaire comme un risque pour les récoltes de légume.
- Nous choisissons souvent des espèces issues de familles botaniques pas ou très peu cultivées au jardin pour essayer de provoquer plus de biodiversité.
Aussi des céréales
Choisir des espèces peu ou pas cultivées sur la ferme pour plus de biodiversité, cela se traduit chez nous de temps en temps par le semis de quelques planches de bande fleurie en céréale à qui nous laissons le temps de mûrir. Une culture absente de notre gamme de légumes au jardin lui-même donc un enjeu d’autant plus important.
Sauf exception, la céréale est semée en mélange avec une fabacée (légumineuse) couvre-sol, voire souvent un mélange de plusieurs dont le développement est plus tardif ; cela permet d’assurer la couverture du sol plusieurs mois après que la céréale soit arrivée à maturité. Les Biaux Jardiniers n’ont d’ailleurs là aussi rien inventé : ce système d’association céréale / légumineuse était pratique courante dans les années 1960 / 70 chez les collègues bio en polyculture élevage. Ils utilisaient cette association pour limiter le salissement de leur céréale par les adventices. De plus elle leur permettait après moisson une récolte plus rapide de fourrage au bénéfice de leur troupeau ; donc une meilleure productivité de la parcelle tout en en favorisant la biodiversité comme la fertilité.
Une bande fleurie de ce type peut couvrir la planche sur quasiment deux années, y compris deux hivers… et réussit très bien sans autre arrosage que l’eau qui tombe toute seule du ciel ! Selon les mélanges, elle assure une plus ou moins longue floraison.
Un des intérêts de la céréale est aussi de fournir à maturité des tiges creuses, qui sont de potentiels abris d’hivernage, de changement de stade, ou de reproduction des auxiliaires. Expérience faite, le roloflex, peut l’entretenir avec le minimum d’agressivité pour la faune.
C’est un des outils que Matthieu a auto-construit en stage (photos et détails ici).
Autour des bandes fleuries.
Comme elles délimitent nos carrés de culture, les bandes fleuries des parcelles longées par une haie bocagère n’en sont séparées que par les quelques mètres de l’allée enherbée. Cette proximité peut permettre à la faune de la haie – via cette connexion – de se déplacer éventuellement jusqu’au centre même du jardin : c’est la mise en place d’un système de «corridor écologique».
La bande fleurie déjà bien installée est ainsi un lieu d’autant plus intéressant aux moments où il y a des planches de sol nu pour cause de mise en culture !
Installer et entretenir
Pour semer les fleurs choisies, les Biaux Jardiniers utilisent, comme pour les cultures de légume, les différentes techniques à leur disposition, en fonction des types de mélanges ou de la situation de la planche.
Semis direct.
semis direct, à la main ou mécanique avec le semoir à engrais vert, par exemple après une occultation. d’un mélange pluriannuel très diversifié.
Semis motte.
Mais le plus souvent, nous semons les fleurs en plaques de mottes, pour élevage en pépinière, quelques semaines dans la serre solaire du bâtiment, avant repiquage définitif en place. Le semis est manuel – par variété pure ou bien en mélange. La grande diversité de forme des graines (une quinzaine de fleurs différentes) oblige évidemment, à l’échelle du petit maraîcher diversifié, au semis manuel sauf exception.
Repiquage manuel
La plantation se fait en alternant les diverses variétés par groupes d’importance suffisante. Et en fonction des situations, soit :
- sur terrain nu, après occultation ou pas,
l’entretien nécessaire pouvant éventuellement se faire manuellement ou rapidement avec la bineuse.
- sur paillage biodégradable.
Dans ce cas, nous détruisons suffisamment le paillage un peu avant le moment où les graines des fleurs arrivent à maturité pour qu’en tombant, elles puissent germer au sol pour assurer le renouvellement et la pérennité de la bande fleurie dans sa diversité par re-semis «spontané».
Plantation mécanique
Pour gagner en confort de travail et en temps,
nous utilisons souvent la planteuse pour installer les bandes fleuries sur sol nu.
Mais quelle que soit la méthode utilisée, et au delà de la préparation du sol, des mélanges, des plants, etc… la bande fleurie est une culture à part entière !
Entretien
C’est donc un réel travail d’entretien : incontournable arrosage de reprise,
et bien sûr binage… (s)…
et il est possible de devoir, au moins la première année, faire un petit passage à la main pour détruire les adventices qui réussissent à se développer malgré toute la prévention mise en œuvre.
Ou devoir les années suivantes passer faire la chasse aux rumex (ou autres).
Il y a aussi, selon sa composition, son ancienneté, etc… de l’entretien à réaliser quand la bande fleurie qui vit, prospère… et s’élargit ! Mais rien n’empêche d’attendre «le dernier moment» pour passer le rotofil : celui du semis ou de la plantation du légume sur les planches joignantes ! Il suffit de s’adapter au voisinage.
Concernant l’entretien des bandes fleuries, il y a aussi, bien sûr, ces ballades d’inspection tranquille qui permettent de trucider le végétal indésirable repéré… si l’on est muni de son opinel ! Des balades qu’il ne tient qu’à la décision de qui les fait de transformer en ces précieux moments de «promenade méditative au crépuscule» le long des fleurs : au delà des auxiliaires, c’est donc un bénéfice apporté au mental des Biaux Jardiniers.
Aussi sous tunnel
Contrairement aux pratiquants de la culture biologique intensive sur petite surface qui traquent la moindre place libre pour y faire des légumes, les Biaux Jardiniers préfèrent consacrer aussi sous chacun de leurs tunnels une place pour des bandes fleuries (et donc à la culture d’auxiliaires) et «perdre» le rang de salade ou de persil potentiellement supplémentaire.
Préparation manuelle
d’abord avec le sarclot forgé à manche frêne (le top du grand luxe paysan !)
puis finition avec le croc.
Culture
de mottes
et même d’ortie…
Installation (et contrôle…) d’ortie, plante qui héberge pas mal d’auxiliaires, et notamment une punaise prédatrice très polyphage.
Au bilan
c’est moins «propre»
Alors, oui bien sûr, évidemment, çà fait moins «propre»… mais sauf pour une question de considération sociale, çà n’est pas un problème ! Orties et ronces notamment, consciencieusement installées puis maintenues en place sous tunnel ou en plein champ ne sont pas des images que la majorité des agriculteurs revendiquent car cela véhicule l’image d’une «exploitation mal tenue».
Les bandes fleuries et autres techniques décrites ici doivent donc être portées agronomiquement, assumées socialement : notre but de paysan n’est pas de «faire propre» [1]avec toute une gamme de polluants chimiques de synthèse , c’est de «faire bio».
Aide aux planches permanentes
Au bilan, à une époque où les références n’existaient pas, la mise en place en 2001 des bandes fleuries pluriannuelles nous aura permis d’oser risquer l’expérimentation du travail en planche permanente : leur mise en place généralisée aura joué le rôle d’outil pour la transition vers le travail en planche permanente. En «fixant» les limites de chaque carré, elles nous ont facilité le passage progressif à cette «pratique adaptée et innovante», qui s’est avérée une technique agronomique avec énormément d’avantages dans notre situation. Pas certains que nous aurions osé, puis réussi, sans elles. Nous aurions alors vraiment perdu quelque chose…
Aide à l’organisation
En délimitant clairement et de manière absolument pérenne chacun des carrés, les bandes fleuries aident à l’organisation du jardin, tant pour l’établissement et le contrôle de la rotation, pour le dimensionnement des productions que pour l’entretien rationnel des cultures.
Milieu équilibré
Depuis donc plus de 20 années, ce choix des bandes fleuries permanentes nous aura permis de multiplier au centre même du jardin des lieux de biodiversité utile potentielle, ce qui nous semblait une «assurance qualité» pour l’avenir dans le contexte de production professionnelle qui est nécessairement le nôtre.
Refuges non travaillés
Les bandes fleuries jouent donc aussi en plusieurs occasions le rôle de refuge lors de certains travaux : aux moment où le maraîchage des planches voisines devient un milieu provisoirement hostile ou peu accueillant pour les insectes auxiliaires.
- refuge au milieu d’engrais vert broyé…
… mais toujours en «fauchage sympathique» (explications ICI)
- refuge quand sol nu prêt pour des repiquages…
- refuge lors d’occultation…
- refuge en cas de planches permanentes de légumes cultivés sur film paillage…
Parce que permanentes, les bandes fleuries apportent toutes ces fonctions « refuge » en toute saison…
… et «en même temps» sans laisser la friche gagner : c’est donc bien une pratique agricole.
Et les ravageurs ???
Évidemment bien sûr, notre pratique de bandes fleuries systématiques ne règle pas miraculeusement tous les problèmes parasitaires d’un coup de baguette magique de méthode miraculeuse… Non ! Et dans quelques cas, la « chasse » reste incontournable par exemple pour un parasite « récent » : Nezara et ses « semblables ». Mais nous pensons que si l’intervention manuelle suffit à maintenir les dégâts à un niveau tout à fait supportable économiquement, c’est un genre de démonstration que le jardin tel qu’il est conduit est un milieu assez équilibré !
Et bien ma foi, à l’expérience, nous constatons que les attaques de parasites sont très limitées, et il nous semble observer que «çà va dans le bon sens» malgré des évolutions météo et / ou climatiques «surprenantes», voire difficiles ! Il nous semble que cela va dans le bon sens aussi si on se réfère à ce qui est prôné comme utilisation d’insecticides biologiques non sélectifs dans les livres, conférences ou vidéos internet de «petits jardiniers maraîchers intensifs» ou de « permaculteurs en micro-fermes sur petites surfaces intensives hyper fertilisées » !!
Autonomie paysanne !
Toute notre pratique paysanne est très loin d’être une «science exacte» [2]ou une « méthode » , c’est une démarche. Nous cherchons, nous observons, nous essayons, nous interprétons, nous modifions, nous tâtonnons, et bien sûr parfois nous nous plantons. C’est le paradoxe du maraîcher : souvent il plante… parfois il se plante ! Nous n’expérimentons que très empiriquement, comme des paysans.
Bref, nous tâtonnons. À nos seuls frais.
Nous essayons de voir les erreurs et d’éviter de les renouveler, d’apprendre de ce que l’on observe. Et en groupe autant que possible. Ce qui, pour les Biaux Jardiniers de Grannod du moins, est bien plus passionnant qu’appliquer scrupuleusement [3] voire scolairement ou mécaniquement les préceptes détaillés dans le livre ou le stage vendus par le communiquant de la méthode miraculeuse… même si elle apparaît idéale !
Notre métier !
Avec d’autres, parmi d’autres, cette technique des bandes fleuries, tant par la façon de voir qu’elle nous incite à pratiquer, que par la place qu’elle nous donne en tant que travailleur conscients et autonomes dans la marche de la ferme et la vie du milieu dans lequel nous vivons, ou par le type de travail et de compétences qu’elle mobilise et valorise, redonne de la noblesse à notre métier de paysan. !!
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