La « boucle » vertueuse
L’éleveur allaitant
Les Biaux Jardiniers ont bien de la chance : ils ont des collègues paysans installés pas très loin de chez eux, des éleveurs allaitant (ce qui veut dire qu’avec surtout de l’herbe verte des prés, du foin des prés et un petit peu de céréale, ils fabriquent de la viande). Et comme ils ne cultivent que peu de céréales, puisque leurs fermes ont principalement une vocation herbagère, il y a assez régulièrement trop de fumier pour les besoins agronomiques de leurs fermes.
Et donc, comme ils sont pas trop loin de chez nous, nous achetons leur surplus de fumier. Comment ? Avec l’argent que nous avons obtenu en échange du foin de nos prés. Sur lesquels nous n’élevons pas de bovins. Ce qui est parfaitement normal puisque nous sommes maraîchers et pas éleveurs. Nous ne pouvons pas tout faire ! Et nous ne sommes pas les seuls : notons que nos collègues éleveurs de bovins, ne produisent pas de légumes … Ce qui est parfaitement normal, puisqu’ils sont éleveurs et pas maraîchers ! Et eux aussi, ils ne peuvent pas tout faire !
C’est ainsi que la boucle agronomique est bouclée : notre ferme maraîchère sans bovin, grace à ses prés, procure du fumier de bovin aux parcelles maraîchères.
Le système agronomique «classique» ancien, tendance autonomie, fonctionnait en boucle. À noter cependant que de tous temps, les maraîchers ont mis en valeur des fermes sans bétail (mis à part parfois quelques volailles mais seulement pour une large consommation personnelle, donc incapable de fournir assez de fumier – surtout du fumier de bovin (…) – pour assurer la fertilité des sols destinés à la production des légumes). Notre système agricole spécialisé, plus contemporain, fonctionne en boucle un peu plus large grâce à la participation économique d’autres paysans.
Le transporteur
Quand vient en début de printemps la saison de curer les écuries, c’est à peu de choses près à la même période chez tous les éleveurs. Et c’est donc la saison où la CUMA compost 71 prévoit plusieurs tournées du retourneur. Il nous est donc assez facile de programmer précisément les dates du chantier : notre objectif est une livraison de fumier quelques jours avant le passage programmé du retourneur, et un épandage une quinzaine de jours après le passage du retourneur.
Et grâce à la participation mécanique de Francis, l’ami ancien viticulteur et voisin de notre précédente ferme, maintenant entrepreneur de travaux publics, le fumier sorti des écuries avec l’engin de manutention de sa Cuma (coopérative d’utilisation de matériel agricole) locale, chargé directement dans les bennes de Francis, passe rapidement de l’écurie au Biau Jardin.
Les bennes sont vidées à la que leu leu, et en fonction de la largeur de travail du retourneur de la Cuma.
Ça se passe toujours très bien, sauf… mais c’est exceptionnel !
Le retourneur en CUMA
Du point de vue du petit maraîcher, le retourneur d’andains est un gigantesque outil d’une largeur de travail de 5 m 30, entraîné par un non moins gigantesque tracteur. Une fois déplacé en position de travail, sur le coté du tracteur, il enjambe le tas de fumier. Le rouleau travaillant, muni de pales, fragmente le fumier. Le mouvement rotatif projette la masse travaillée progressivement quelques mètres en arrière, et donc le déchiquette, le mélange et l’aère. Des déflecteurs forment le tas. L’avancement se fait grâce au tracteur de la Cuma par les deux roues crantées motrices du retourneur.
Ce matériel n’est bien évidemment pas à la portée du petit maraîcher bio isolé, ni même du gros éleveur pas bio tout seul lui aussi d’ailleurs. C’est pourquoi, en 2002, sur l’initiative de la chambre d’agriculture, nous nous sommes regroupés à une trentaine d’agriculteurs pour acheter ce retourneur en commun. Nous sommes actuellement plus de 300 dans cette CUMA. Comme quoi, souvent, à plusieurs, on y arrive mieux que seuls.
Pour plus de renseignements sur le fonctionnement de la CUMA compost 71, pour lire le point de vue de la chambre d’agriculture de Saône et Loire sur le compostage en tas, visiter le joli site de la CUMA.
L’opération ne prend que quelques minutes pour brasser et aérer une soixantaine de tonnes de fumier, avec un passage aller et un passage retour. Le jour dit, le retourneur arrive derrière le tracteur. Dans la parcelle, le chauffeur le «déplie» sur le coté, dans sa position de travail.
Et c’est parti.
Benné depuis quelques jours, le fumier a déjà démarré une petite fermentation.
En jouant sur la vitesse d’avancement du tracteur, le chauffeur de la Cuma permet au retourneur de corriger les inégalités du tas dues à la livraison. Ça n’est pas une préoccupation esthétique ! Mais un tas sans creux ni bosses sera beaucoup plus facile à protéger de la pluie et la masse aura fermenté de façon plus homogène.
Expérience faite, nous demandons systématiquement un deuxième passage de retourneur à la suite. Cela permet de mieux affiner le fumier, de mieux l’aérer. Le chauffeur fait donc demi tour avec tout l’attelage…
Tracteur et retourneur se réalignent en bout du tas déjà monté
et c’est reparti pour un deuxième brassage aération du tas, dans l’autre sens.
Le deuxième passage permet d’obtenir un meilleur affinement, un tas très régulier, une belle aération
et donc un démarrage très rapide de la fermentation du fumier. L’élévation de température garantit la destruction des graines d’adventices présentes dans le fumier, et que les Biaux Jardiniers ne souhaitent pas du tout introduire dans leur jardin !
La bonne qualité de fermentation garantie par la double aération et le double affinement nous permet de ne pas redemander le passage de retourneur qui est proposé d’office par la Cuma trois semaines après le premier.
Reste ensuite à remettre l’outil en position route (derrière le tracteur, dans l’axe et sur ses roues de transport).
Dernière étape : le Biau Jardinier signe le bon de travail pour que la Cuma puisse facturer. L’organisation Cuma permet, une fois l’investissement dans les parts sociales réglé, de bénéficier de cette technique pour une faible somme annuelle : bien que nos tas de fumier soient petits (40 à 100 tonnes) et demandent donc proportionnellement plus de temps de tracteur, le prix de la prestation est inférieur à 2 euros la tonne.
En fin le chauffeur repart pour travailler le tas de fumier chez l’adhérent suivant qui s’était inscrit pour cette tournée.
Les Biaux Jardiniers se trouvent donc avec un joli tas de compost qui « démarre » quasi immédiatement.
Reste à ne pas oublier de couvrir le tas pour le protéger des lessivages d’éléments fertilisants qu’apporterait la météo dès «la première goutte de la première pluie», comme l’écrit Yves Hérody dans sa brochure éponyme.
Compostage
Suivi température
Nous contrôlons l’évolution de la température du tas : c’est de la qualité de la fermentation que dépendra l’assainissement du fumier. C’est important pour le maraîcher qui ne tient pas du tout à ensemencer son jardin de graines d’adventices issues de la récolte du foin ou de la paille… La méthode est simple : on fait un trou jusqu’au centre du tas avec un gros manche, on y introduit un tube plastique qui reste à demeure. On y glisse le thermomètre attaché au bout d’une ficelle munie d’une marque pour le repérer facilement, et on pense à relever les températures tous les deux jours. Elle s’élève rapidement vers 55° / 60° et y reste plusieurs jours.
Rapide compostage
Nous ne sommes pas partisans d’un compostage long : il nous semble que dans nos sols légers, une douzaine de jours est une durée adaptée à nos objectifs d’entretien de la vie microbienne. Et il nous paraît préférable que beaucoup des processus de digestion de la matière organique se déroulent dans le sol, en surface, au contact avec la terre, plutôt que dans le tas de compost (donc en quelque sorte «hors sol»).
- Avec les quelques jours de stockage à l’abri d’une bâche après livraison au champ du fumier avant son double passage de retournement par la CUMA
- puis une ou deux semaines de fermentation en tas protégé des lessivages,
nous obtenons un fumier assaini (fiche technique de Domnique Massenot).
Un fumier brièvement composté et peu évolué, qui continuera sa fermentation avec la terre du jardin. C’est une technique dérivée du compostage de surface prônée par HP Rüsch dans son livre « La fécondité du sol » (traduit par Claude Aubert au tout début des années 70).
Des chiffres
Petit dessin extrait de Dominique Soltner « les bases de la production végétale » tome 1 édition 1979 Sciences et Techniques Agricoles rapportant le résultat d’un essai mené dans les années 1950 par HP Rusch comparatif de diverses méthodes d’apport de fumier (on peut cliquer pour agrandir).
Le fumier rapidement composté est épandu en surface, sur les parcelles en engrais vert qui seront cultivées en légumes plus tard.
Épandage
=> Plus de détails sur nos diverses méthodes d’épandage en planches permanentes en cliquant sur la photo de Matthieu au travail avec l’épandeur.
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